Passionnée de musique, conquise par les idées féministes et socialistes, Germaine Dulac entre comme journaliste-reporter à "La Française" et à "La Fronde". En 1915, après un séjour à Rome en compagnie de son amie Stacia de Napierkowska, danseuse-étoile de l’Opéra et déjà "étoile" de cinéma, elle décide de se consacrer entièrement à cet art nouveau.
Ayant fondé une petite maison de production, elle tourne coup sur coup quatre films sur des scénarios d’Irène Hillel-Erlanger, dont deux sont interprétés par Napierkowska (Venus Victrix et Dans l’ouragan de la vie, 1916). Le film suivant, Âmes de fous (1917), a apporté à la cinéaste une véritable prise de conscience :
"Lumière, pose d’appareil, importance du montage m’apparurent comme des éléments plus capitaux que le travail d’une scène uniquement jouée selon les lois dramatiques".
Son interprète, Eve Francis, servira d’heureux trait d’union avec Louis Delluc, son fiancé. De la collaboration Delluc-Dulac allait naître La fête espagnole, première manifestation effective de l’esprit d’avant-garde cinématographique. Le sujet de Louis Delluc, banal en soi (rivalité de deux hommes pour la conquête d’une femme), était "visualisé" d’une manière impressionnante.
Devant l’incompréhension du public, le producteur Louis Nalpas demandera à Germaine Dulac de réaliser quelques films plus accessibles qui ne constituent pas le reflet exact de sa personnalité.
En portant à l’écran une pièce de Denys Amiel et André Obey, La souriante madame Beudet, Germaine Dulac va donner en 1923 une des oeuvres les plus importantes, les plus achevées et sans doute la plus significative de l’Avant-Garde. Pour exprimer les subtilités psychologiques de son héroïne, la réalisatrice avait fait appel à toutes les ressources de la technique (déformations, surimpressions, ralenti, etc.) et mis en évidence le désir constamment rappelé par elle et ses adeptes : porter au cinéma des sujets intelligents, présenter des êtres humains et leurs sentiments par le truchement de procédés exclusivement visuels. C’était le triomphe de la symphonie visuelle et de l’impressionnisme.
En 1924, c’est Le diable dans la ville, sur un scénario de Jean-Louis Bouquet, avec Léon Mathot, dont l’action se situe au 15e siècle, à propos duquel Germaine Dulac souligne : "Ce sera mon premier film de mouvement. C’est un film de foules, un peu satirique, à tendance un tantinet caricaturale... " (in "Cinémagazine" 9 mai 1924).
Nullement honteuse d’avoir à tourner des films "commerciaux", Germaine Dulac n’en poursuivit pas moins ses recherches expérimentales. La coquille et le clergyman sur un scénario d’Antonin Artaud, provoque un énorme " chahut " : Artaud et les surréalistes détestent ce film, jugé profondément vain, et cette polémique entravera durablement la carrière de Dulac. Elle réalise cependant encore quelques courts-métrages, qu’elle définit dans ses écrits comme du « cinéma pur », de la « musique visuelle ». Il s’agit d’adaptations de poèmes de Baudelaire (l’Invitation au voyage, 1927) ou de courtes pièces musicales (Disque 927, 1928), voire de poésie scientifique (Germination d’un haricot, 1928).
Elle se détourne de la réalisation à l’arrivée du cinéma parlant, et entre chez Gaumont en 1931 comme rédactrice adjointe, puis prend en charge l’année suivante un nouveau magazine, France Actualités Gaumont.
Après dix ans de rédaction en chef des Actualités Gaumont, minée par une maladie pernicieuse, Germaine Dulac est morte le 20 juillet 1942, à une époque peu propice à un hommage.
Filmographie :
– 1915
Les soeurs ennemies
Avec : Renée Bartout, Laurette Caira, Suzanne Desprès, Jacques Grétillat, Mag Very.
– 1916 Géo le mystérieux
Avec : Jacques Grétillat, Fred Janseme, Jane Marken, Rastrelli, Gastao Roxo.
– 1916
Venus Victrix
Avec : Stacia Napierkowska
– 1916 Dans l’ouragan de la vie
– 1917
Âmes de fous
– 1918 Le bonheur des autres
La fête espagnole
– 1928
La cigarette
– 1920
Malencontre
– 1920
La belle dame sans merci
– 1921 La mort du soleil
– 1922 Werther
1923
La souriante madame Beudet
Avec : Alexandre Arquillière (Monsieur Beudet), Germaine Dermoz (Madame Beudet), Jean d’Yd, Madeleine Guitty. 32 minutes.
Mme Beudet, avide de liberté et d’évasion, voudrait s’affranchir des liens de son existence médiocre et insipide. Tyrannisée par son mari, être brutal, elle ne peut s’évader de la grisaille quotidienne qu’en faisant des rêves. A la suite de conflits perpétuels, Beudet, adopte un tic épouvantable : de plus en plus souvent, il prend un revolver non chargé et fait mine de vouloir se suicider...
– 1924 Gossette
– 1924
Le diable dans la ville
(6 parutions).
– 1925
Âme d’artiste
– 1925
La folie des Vaillants
– 1926
Antoinette Sabrier
– 1927 La coquille et le clergyman
Avec : Alex Allin, Genica Athanasiou, Lucien Bataille. 40 minutes
"Tout mon effort a été de rechercher dans l’action du scénario d’Antonin Artaud les points harmoniques, et de les relier entre eux par des rythmes étudiés et composés. Tel par exemple le début du film où chaque expression, chaque mouvement du clergyman sont mesurés selon le rythme des verres qui se brisent ; tel aussi la série des portes qui s’ouvrent et se referment.. (Rythme et technique, FilmLiga, 1928.)
– 1927
L’invitation au voyage
– 1927 Le cinéma au service de l’histoire
– 1928
La princesse Mandane
– 1928
Thèmes et variations
– 1928 Disque 957
16 mm 1 bobine (66 métres) cadence 18 ips 6’00
« Le sous-titre de ce film est Impressions visuelles. Intertitre : « En écoutant les 5e et 6e Préludes de Frédéric Chopin ».
Ce film, ainsi que les deux autres films courts, peuvent être considérés comme des notations visuelles, et qui ont été classés comme « abstraits » par la plupart des historiens d’une façon assez superficielle. Car ce sont en réalité des expériences de « cinéma pur », c’est-à-dire un cinéma qui a répudié la parole pour se faire exclusivement langage iconique, véhicule de sensations et d’émotions, à l’égal de la musique. C’est à celle-ci que Germaine DULAC a souvent comparé ce qu’on appelait « l’art des nuances spirituelles », donnant à chaque forme, à chaque zone lumineuse la valeur d’une vibration acoustique. » Esther de Miro.
– 1929
Étude cinématographique sur une arabesque
16 mm, 1 bobine (77 métres), cadence 18 ips 9’00
Dans l’élaboration du film, on prône d’abord l’histoire et l’on place en second plan l’image, c’est-à-dire que l’on préfère le théâtre au cinéma. Quand le rapport sera renversé, le cinéma commencera dès lors à vivre selon sa propre signification. Lutte de l’image prise au sens profond de son orchestration, contre l’erreur littéraire et dramatique. Tout le problème du cinéma est dans ce mot « visualisation ». L’avenir est au film qui ne pourra se raconter. Le septième art, celui de l’écran, c’est la profondeur rendue sensible et visuelle, qui s’étend au-dessous de l’histoire, analogue à l’insaisissable musical. Cette conception amène nécessairement à une révision des thèmes cinégraphiques. (Conférence, 13 octobre 1928).